« Nous manquons de mécanismes d’alerte » – Jean-Paul Delevoye
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), nous confie ses observations sur l’évolution du surendettement et sur les mécanismes d’alertes qu’il avait soutenus lorsqu’il était Médiateur de la République.
Certaines catégories de population sont-elles plus touchées par le surendettement ?
Nous constatons que le surendettement touche principalement les moins de 25 ans et les personnes âgées. Les fonctionnaires sont également l’une des catégories socio-professionnelles les plus exposées au surendettement parce que la stabilité de leurs revenus en fait une cible idéale pour les organismes de crédit. Il faut ajouter à cela des métiers de la fonction publique dits «d’attente» comme les militaires, les policiers ou les agents hospitaliers… Ces métiers (tant pour ceux qui les exercent que pour leur conjoint) sont caractérisés par un rythme alternant période de forte activité et période de veille et de temps libre, propice à des achats parfois dispendieux.
Une fois prises dans la spirale infernale, les personnes ne réussissent plus à surmonter l’endettement. Certaines situations pourraient pourtant trouver une issue si les taux de crédit n’étaient pas de 20 ou 25 %. Nous avons mis en place des systèmes de politiques sociales et mené des réflexions autour du rachat d’emprunts sur la base d’un accompagnement sous tutelle.
Avant de secourir les personnes surendettées, ne faut-il pas imaginer des outils d’alerte en amont ?
Ces systèmes existent pour les entreprises en difficultés, mais pas pour les personnes. Si nous pouvions intervenir dès les premiers milliers d’euros de surendettement, nous pourrions redresser des tas de situations. Par fierté, les gens tentent de résoudre leur problème seuls en souscrivant un second crédit pour racheter le premier et ainsi de suite. Les personnes s’effondrent ou alertent les services sociaux lorsque la situation devient impossible ; il est alors quasiment toujours trop tard.
Quels mécanismes d’alerte pourraient enrichir notre législation ?
Je me suis prononcé en faveur du fichier positif, mais beaucoup y sont opposés. Cela ne règle bien sûr pas tous les problèmes, mais permettait de tirer la sonnette d’alarme plus tôt. Plus personne n’est épargné par la précarité et cela devient de plus en plus préoccupantLe surendettement n’est pas tant lié au crédit immobilier qu’aux crédits à la consommation. Aujourd’hui, plus personne n’est épargné par la précarité et cela devient de plus en plus préoccupant. D’autre part, les solidarités intra-familiales sont devenues plus fragiles et les parents doivent faire face à la prise en charge de leurs enfants. S’ils sont eux-mêmes en situation sociale difficile, leur situation personnelle devient très compliquée.
Que pensez-vous des mesures votées dans la loi de juillet 2010 sur le surendettement comme la réduction à 5 ans de l’inscription au fichier national ou le fait que les administrations puissent saisir directement la Banque de France ?
J’ai mené ces combats lorsque j’étais Médiateur de la République et je suis heureux de voir qu’ils commencent à donner des résultats. Mais des évolutions sont encore possibles, notamment en matière de relations entre la Banque de France et la justice. La Banque de France joue un rôle social important, mais trop méconnu, et son expérience pourrait inspirer au législateur bon nombre d’améliorations. Par exemple, le reste à vivre des personnes n’est pas forcément analysé de la même façon selon les juges. Ce qui me préoccupe, c’est que malgré les solutions mises en place, les travailleurs sociaux retrouvent parfois les personnes qui en sont à leur deuxième ou troisième situation de surendettement. Les charges étant supérieures aux ressources, les personnes ne peuvent pas être sauvées et la mécanique est infernale. Il faut peut-être trouver d’autres systèmes et se remettre en cause, par exemple en abordant cette question dans le cadre de politiques plus globales, comme celle du logement par exemple.
Sommaire du dossier
- Article 01 - Observatoire de l’inclusion bancaire : les banques devront rendre des comptes
- Article 02 - « Nous manquons de mécanismes d’alerte » – Jean-Paul Delevoye
- Article 03 - Former les acteurs du secteur social est l’un des rôles de la Banque de France – Interview de François Bavay
- Article 04 - Précarité des emplois : une fragilité importante malgré le statut
- Article 05 - Précarité financière : vulnérabilité au quotidien et face à l’avenir
- Article 06 - Lutter contre la précarité financière du personnel
- Article 07 - 10 questions sur l’inclusion bancaire
Article précédent (1/7) << Observatoire de l’inclusion bancaire : les banques devront rendre des comptes Article suivant (3/7) Former les acteurs du secteur social est l’un des rôles de la Banque de France – Interview de François Bavay >>